Le Chemin de Croix de Claude Lerude

Orléans, le 24 mars 1944 !

Avant le départ de Claude Lerude d’Orléans !

C’est une correspondance de Mme Lerude relatant sa dernière entrevue avec son fils, écrite après son entrée au Carmel du Dorat !

Extrait du Courrier de Sœur Marie Agnès de Jésus (Mme Lerude) à M. L’Abbé (Guillaume) !

Texte manuscrit sur  feuille papier bleu – manuscrit)

« … Mais lors de ma dernière visite à Claude à la rue Eugène Vignat le 24 mars 1944 devant notre « surveillant » l’interprète de la prison, Claude me dit en riant : « je sais bien que j’ai été arrêté, mais je serais bien curieux de savoir comment ». Naturellement je lui racontai les détails dans les grandes lignes, d’une façon incolore et sans nommer personne et alors l’interprète prit part à la conversation. Cet interprète parlait français parfaitement et avait un rôle étrange : il était au service de la Gestapo, se disait allemand et cependant avait des prévenances remarquables pour les détenus – c’est ainsi que j’ai eu avec lui une longue conversation de la Gestapo à la rue Eugène Vignat où il me conduisait voir Claude dont il me disait : « il s’impose et il en impose », et il semblait l’avoir en grande admiration. Il m’a permis de le voir plus longuement que les autres et c’est lui qui ce 24 mars me fit prévenir que je vienne voir Claude – un jour inusité et je l’ai vu 1/2 heure,  visite étrange, car la conversation eut lieu à 3 !

A la demande de Claude, je lui racontai qu’après son arrivée avec ses camarades (Lefevre, de Faucamberge, de Gien) et 1 ou 2 autres inconnus, il y eut un premier coup de sonnette (Taureau que je ne nommai pas !) puis un second (Bernier que je ne nommai pas non plus !)

… Puis un troisième – 3 inconnus me demandant en parfait français, si Claude était bien chez lui ou plutôt si « C’était bien ici qu’il demeurait ». Question souvent entendue ! 

Simultanément, la porte donnant sur le jardin s’ouvrait et 3 garçons entraient, ce qui arrivait 20 fois par jour – les 6 m’entourèrent sans que j’en fus effrayée – c’était tellement la vie courante depuis des mois. Et celui qui m’avait questionné, ouvrit son portefeuille en disant : « Police allemande ! Nous allons visiter la maison. Vous avez une réunion ici n’est-ce-pas ? ».

– Non, ai-je répondu (je savais que la réunion avait eu lieu en ville) et ils sont montés directementà la chambre de Claude (alors qu’ils auraient pu visiter le rez-de-chaussée et qu’en haut, il y a d’abord 3 portes sur le palier et ensuite 6 sur l’antichambre). * Ce mot a été souligné par Madame Lerude !

Ayant fait le récit sans nom, sans commentaire, j’ai appris de Claude ce fait inattendu : c’est que lui-même était redescendu pour acheter des cigarettes si bien que lorsque les allemands sont arrivés, il n’était pas là – Après avoir fait irruption dans la chambre sans issue, révolver aux 2 poings, les allemands tenaient naturellement leur proie comme dans une souricière. Alors l’un d’eux redescendit me chercher et c’est en effet 2 minutes après que Claude arriva (j’ai cru qu’il était simplement dans la pièce à côté). Quand Claude eut dit ce fait devant l’interprète je ne bronchai point, mais l’interprète lui répondit : « vous n’avez rien à regretter car vous avez été si bien vendu par un de vos camarades que nous savions exactement l’heure et le lieu de votre réunion, le théâtre et la salle des Beaux-Arts ont été cernés et gardés par tous les membres de la Gestapo (40 hommes armés) et si nous vous avions trouvé, nous avions ordre de tirer sur vous ».

A quoi Claude répondit : « Heureusement que cela n’a pas eu lieu car il y aurait eu une belle bagarre, vous pensez bien que moi aussi j’étais gardé à mains armés ». Et là-dessus ils ont continué à parler tous les 2 sur les moyens employés pour « faire parler », tombant d’accord que le plus « dur » était « la baignoire » à laquelle peu résistent…

Pour revenir à l’arrestation elle-même … Ayant visité la maison, ils découvrirent le téléphone de chez mon frère (dont le bureau communique avec notre maison) et après de nombreuses questions sur ce bureau et ce téléphone, ils téléphonèrent eux-mêmes et quelques minutes après un grand autobus emmena les prisonniers menottes aux mains (il était arrivé 2 autres camarades pendant ce temps et ce sont les allemands qui les firent monter dont Maurice Belmont je crois !) – Un allemand resta en bas pour garder ma mère et un autre resta pour interroger Claude. On me fit redescendre avec ma mère et ce n’est qu’une heure plus tard qu’il emmena Claude sans menotte, lui permettant de prendre un peu de linge et le faisant entrer au passage dans la pièce où nous étions gardées avec ma mère, lui disant : « dites adieu à votre mère et embrassez-la une dernière fois ! ».

Ce qui frappe dans cette arrestation c’est qu’ils sont montés directement* à la chambre de Claude. Ils ont ensuite ouvert toutes les portes mais n’ont visité aucune pièce ni aucun meuble. Ils n’ont fouillé que la chambre de Claude qui était le lieu de réunion.

(* Nous allons encore respecter les mots soulignés par Madame Lerude.)

Preuve évidente qu’ils savaient que c’était là le lieu secret. Ils ont tenu fermé cette pièce et celle où Claude couchait depuis quelques temps uniquement.  Ils étaient si bien renseignés sur les habitudes de la maison qu’ils n’ont jamais questionné ma mère âgée et impotente – qu’ils ont très vaguement interrogé la bonne, sur place seulement, lui demandant seulement si elle connaissait tel ou tel qu’ils arrêtaient dans la « souricière ». Bien stylée, elle a toujours répondu « non » et fait remarquable, ils n’ont jamais questionné ni inquiété mes deux neveux de 18 et 23 ans qui circulaient perpétuellement dans la maison. Il fallait donc bien qu’on ait renseigné les allemands de leur ignorance complète de ce qui se passait au 87.

Qu’ils ne m’aient pas arrêtée et qu’ils se soient contenté de mon affirmation que j’ignorais tout reste un mystère pour quiconque ne veut pas voir là uniquement le doigt de Dieu…

(ajouté en petites lignes) :

… Autres faits qui indiquent que le dénonciateur était grand habitué de la maison : tous les murs de la chambre de Claude étaient garnis de bibliothèques : aucun livre ne fut visité ( le dernier jour seulement, les gardiens ont emporté les dictionnaires allemands) par contre la cachette des documents indispensables fut pris dans un cabinet noir, dans une caisse pleine de pelotes de laine alors qu’aucune autre caisse ne fut ouverte.

(Ensuite elle conclut en bas de page)

Monsieur l’Abbé,

Je m’excuse des lacunes que présentent ces renseignements.

Ces heures restent gravées dans mon cœur mais les heures précédentes perdent de leur précision ; elles étaient tellement agitées.

Je demeure à votre disposition pour essayer de répondre à ce que vous voudriez me demander.

Croyez Monsieur l’Abbé à l’expression de mes religieux sentiments.

Sœur Marie-Agnès de Jésus


Départ Prison Orléans vers Paris le 25 mars 1944 !

Nous avons souhaité marquer ce départ par des témoignages, tout d’abord  du départ des déportés, depuis la prison de la rue Eugène-Vignat, jusqu’à la Gare d’Orléans, puis le récit du transfert de Claude avec son cousin Jacques Naudin.

Tout d’abord, c’est le récit de René Guichet « Les mauvais jours » (Texte autobiographique daté de 1970).

« Nous apercevons le parc Pasteur, nous tournons dans la rue du réservoir, rue Émile Zola, nous voilà devant la Gare. Des gens se dépêchent pour prendre le premier train de Paris. Des hommes passent avec une femme à leur bras, la vie ici continue. Pour nous la mort commence. Le hall de la gare est à peine éclairé. Nos gardiens resserrant leur étreinte, éloignent les curieux qui approchent. Nous glissons rapidement des lettres sous les wagons qui maintenant sont devant nous.

Des wagons de voyageurs, s’il vous plaît, nous sommes voyageurs, s’il vous plaît, nous sommes encore des hommes, plus pour longtemps, il est vrai !

Nous voilà installés. Dans chaque compartiment deux Boches. Dans le couloir, à chaque fenêtre, un autre. Doucement le train démarre.

Adieu Orléans ! Adieu vous tous qui dormez actuellement et ne savez pas que nous partons ! Ce transport a été tenu secret. Adieu nos amours ! Nous vous garderons dans nos cœurs jusqu’au retour. Non ! Pas de larmes, un bagnard ne pleure pas, mais au cœur et à la gorge quel serrement !…

…  Gare d’Austerlitz. Des jeunes filles de la Croix-Rouge, merveilleuses d’audace, passent à travers les rangs de nos gardiens, grâce à leur sourire. Elles nous apportent un ravitaillement dont nous avons bien besoin et tout en nous versant du café dans des timbales en carton, elles reçoivent nos lettres, notent un numéro de téléphone pour prévenir nos amis, en un mot elles sont splendides. À toutes nos amies inconnues de la Croix-Rouge, merci ! Vous nous avez montré avec vos charmants visages ce dont étaient capables les femmes de France.

Des cheminots ont reconnu Boussion, le sous-chef des Aubrais. 10 minutes après, Henri est inondé de ravitaillement et de tabac. Dix cigarettes lui viennent de tel mécano, une poignée de tabac et des feuilles viennent d’un autre. Du pain, de la viande et, malgré la résistance de nos gardiens, les cheminots passent les barrages, insouciants, superbes…

Un bagnard ne pleure pas dans la peine, mais devant cette fraternité, cette solidarité spontanée, cette amitié pour un frère dans la misère, tous, nous avons eu les larmes aux yeux.

N’est-ce pas mes amis ?

Puis, pour revenir à ce matin du 25 mars 1944, Claude Lerude quitte donc à son tour, sa ville, avec son cousin germain Jacques Naudin.

Voici un récit transmis de ces moments, avec rappel important du « testament » de Claude.

(Ecrit certainement par R. Taureau, dans Dossier Paul Guillaume AD 45)

Nous apporterons quelques annotations.

 « Ils partent tous deux pour FRESNES avec quatre gardiens qui les laissèrent causer ensemble. Ce fut la dernière joie de Claude et une profonde émotion pour son cousin.

Claude avait toujours été pour lui, comme pour toute la famille, un petit jeune homme aux idées extravagantes. La prison révéla à Jacques, la profondeur de son âme et la puissance de son action, et il lui voua une admiration sans borne qui l’a marqué profondément.

Ils restent trois jours dans la même cellule, trois jours inoubliables pour Jacques. Claude lui fit lire son dernier travail, le résumé de sa vie, son testament spirituel en quelque sorte. Il lui confia ses derniers projets d’avenir, mûris dans la retraite qu’il fit la dernière semaine qu’il passa à la prison d’Orléans. Il irait aux colonies, fondant un foyer et y gardant sa mère avec lui*. Jacques fut rendu à la liberté pour Pâques le 9 avril.

En hâte, il accourut à Orléans donner les dernières nouvelles de Claude, raconta à sa tante, le secret de ces heures passionnées, passées avec Claude ; malheureusement ni l’un, ni l’autre ne pensèrent alors à consigner ces souvenirs par écrit, et au bout d’un an maintenant, les détails se sont un peu effacés.

Matériellement « c’était un cahier de format ordinaire, dont il n’avait rédigé (du 22 au 25 mars 1944) qu’une trentaine de pages assez finement écrites, ne se suivant pas, car il avait déjà déterminé le plan de la majeure partie de l’ouvrage et écrit dans chacun des chapitres prévus une partie plus avancée dans son esprit que d’autres thèmes devant être développés plus tard dans des chapitres antérieurs ? »

C’était un récit imaginaire, mettant en scène un personnage central qui n’était lui-même que pour une partie, le reste étant de la fiction. Ce personnage, comme Claude était un chef de groupe de résistance que la Gestapo arrêtait mais ses réactions et son comportement n’étaient pas constamment ceux de Claude. Au récit, fort dramatique et émouvant, s’intégraient des développements intéressants et personnels sur le rôle du chef ou surtout de l’intérieur de l’esprit du chef ; ces développements prenaient parfois la forme de dialogue (dont l’embryon avait été l’échange réel d’ idées et de sentiments de Claude et des hommes qui ont momentanément partagé la cellule de Claude à Orléans et aussi avec celui ou ceux avec lesquels presque chaque soir à Orléans, il conversait longuement à travers les portes fermées des cellules (autant que je le pouvais, malgré le tumulte de ma propre cellule bondée, j’écoutais ces conversations et une fois j’y pris part. A la fin de ces échanges pleins de force et de sereine confiance, j’entendais Claude chanter une gaie chanson de route, dont le refrain disait « La madone me protègera… »**

Ce héros qui n’était Claude que pour partie, exposait avoir d’abord donné l’ordre à ses camarades au moment même de l’arrestation de ne pas indiquer à la police qu’il était leur chef, puis s’être senti dépossédé par cette sorte de démission, correspondant peut-être pourtant à des instructions reçues et avoir ensuite revendiqué devant la Gestapo la responsabilité d’avoir conduit les autres et de devoir être chargé de tout : « Restez chef ! »

Tout le récit fort détaillé de l’arrestation et des heures suivantes était écrit directement sans ratures, sobrement, avec beaucoup de force ; c’était extrêmement prenant. Les sentiments de l’homme qui voit la torture et la mort, son retour vers sa mère, vers tout le passé dont il s’amputait d’un seul coup, la présentation par les Allemands des instruments de torture, à ceux dont ils allaient commencer l’interrogatoire ; tout était d’une force et d’une intensité extraordinaire.

(Claude croyait ces jours-là être exécuté très promptement)

« Le récit se poursuivait plein d’intérêt, décrivant les interrogatoires.  A  Orléans seulement, Claude en a subi 65 dont un grand nombre se terminaient ou commençaient en pleine nuit, comme me l’ont rapporté mes camarades de cellule d’Orléans qui entendaient avec terreur les policiers venir le prendre ou le ramener ainsi dans la nuit, après ou avant des séances qui duraient parfois douze heures.

Puis c’étaient la description des camarades de cellule et de leur vie commune et le développement des conceptions de Claude sur le contenu de la notion de commandement, la nature du lien épatant entre le chef et ses hommes, la modification de la personnalité profonde du chef, résultant du rôle joué ainsi par lui. Ces exposés n’étaient d’ailleurs pas complets ; c’étaient plutôt des indications sur les thèmes qui auraient été détaillés plus tard. Le tout ne faisait aucune allusion au scoutisme qui était pourtant à la source de tout. Claude n’a jamais laissé saisir à la Gestapo son passé de scout et ce cahier était à la disposition de la Gestapo. ***

*  Cette affirmation dans ce courrier révèle un détail assez important et même surprenant, concernant l’avenir prévu par Claude, bien différent de ce que nous pensions dans ma fratrie par exemple !

** C’était une chanson de Tino Rossi !

*** Qu’est devenu ce Cahier ? Ces dernières indications nous semblent très importantes et méritent que nous consacrions un long développement (sur ce site ou dans une édition) sur les conceptions du jeune Chef de Résistance.


Mars-avril 1944

Avec son cousin Jacques Naudin, Claude Lerude « est conduit à la prison de Fresnes où les interrogatoires se poursuivent. Jamais aucun aveu ne franchira ses lèvres ». (D’après le livre de B. Cognet).

Le 9 avril, Jacques Naudin est de retour à Orléans et retrouve sa tante Madame Marguerite Naudin, rue de Coulmiers, pour de précieuses confidences…

Puis, le 15 avril, « Claude Lerude quitte Fresnes embarqué dans un wagon plombé.  En arrivant à Compiègne, le convoi est arrêté, pour retourner sur Paris où un bombardement a eu lieu sur les quartiers de La Chapelle et Noisy-le-Sec. Employés à déblayer les ruines et relever les bombes non explosées, les prisonniers restent une quinzaine de jours sur place. Une évasion bien préparée eut sans doute été possible, mais malheureusement personne ne l’a su. » (Témoignage de René Alexis)

Claude Lerude va rester sur Compiègne-Royallieu avant son départ en Allemagne, le mois suivant.

La narration de René Guichet, dans « Les Mauvais Jours », permet de restituer la vie des résistants orléanais, à Compiègne-Royallieu. Ce récit date des mois de mars et avril, juste avant l’arrivée de Claude Lerude. Beaucoup de noms de la Résistance sont cités : des compagnons de « Vengeance », mais aussi des résistants d’autres mouvements, qui trouvent ici un dernier écho.

Ils partiront, pour beaucoup, comme l’auteur de ces lignes, le 4 avril (Nous reprendrons donc son récit dans un texte ultérieur…)

« Le train rentre en Gare de Compiègne. La nuit est tombée. Nos menottes nous sont enlevées et, colonne par 5, portant nos valises que nous avons eu le droit de garder, entourés d’une escorte imposante, nous faisons les quelques kilomètres qui séparent la gare du Camp de Royallieu.

Tout à coup, sur notre droite, le camp apparaît. Projecteurs, réseaux de barbelés, chemins de ronde, miradors, mitrailleuses, rien ne manque. Combien en verrons-nous de ces barbelés par la suite…

Les portes s’ouvrent ; des S.S. nous comptent et nous recomptent ; l’aspect du Camp de Royallieu n’a, par lui-même, rien d’anormal. Une classique caserne française entourée de fil de fer, c’est tout.

Ce soir nous traversons la grande cour. À notre droite, le camp américain, à notre gauche, les bâtiments où, demain, on nous répartira. Mais il est tard et l’on ne peut s’occuper de nous.

Nous sommes conduits au camp de quarantaine, isolé du camp proprement dit.

Les portes se referment derrière nous et nous nous retrouvons dans le noir. Après la lumière crue des projecteurs, le contraste est plus saisissant encore. Nous sommes une centaine dans de grandes pièces nues. Nos yeux s’habituent petit à petit à l’obscurité. Nous devinons, étendues par terre, sur la paille, des formes humaines. De l’ombre, jaillissent des voix que nous ne connaissons pas. D’autres transports, venant de tous les coins de France, sont arrivés avant nous. Toute la nuit, il en arrivera d’autres. De Lyon, Marseille, Rennes, Orléans, de partout des convois font mouvement vers Compiègne. On fait du vide dans les cellules de la Gestapo actuellement !

Attention à vous camarades de la Résistance, les filets vont se refermer, votre place est déjà préparée. À tâtons, les groupes se reforment. Phi-phi sort de son sac notre lampe que nous avons tenu à garder. La flamme hésite puis éclaire une partie de la pièce. Nous sortons des valises quelques vivres de réserve et, en silence, nous mangeons nos derniers morceaux de pain français. Il nous reste quelques cigarettes : nous les partageons.

Autour de notre lumière, un cercle s’est formé. Nous sommes là, tous ceux d’Orléans : Changeux, Boussion, Garcin, Solard, Brisebat, Terramorsi, tous. Demain nous retrouverons des camarades de Libé-Nord, qui sont arrivés il y a quelques jours : Lemaitre, Houdray, Échardour, Raymond, Joudiou.

Ce soir nous sommes trop fatigués pour discuter longtemps, cependant l’irrémédiable est engagé, nous savons que maintenant nous sommes sur le chemin de l’Allemagne et nous parlons de l’avenir. Jusqu’ici nous conservions le secret espoir d’être libérés, maintenant il ne faut plus y songer.

Dans un groupe près de nous, un camarade appelle Biondi, un de ses amis. Monsieur Terramorsi se lève brusquement : – Biondi ? Mais je connais un Biondi, un camarade corse !

Et effectivement Biondi, maire de Créteil, député, est celui qui a joué gamin avec Terramorsi.

Tous deux s’embrassent et pour notre joie, reparlent de leur beau pays et se félicitent mutuellement de terminer leur carrière en prison. Cette rencontre a redonné de l’ambiance à notre groupe. Biondi vient près de nous et nous bavardons une longue partie de la nuit, oubliant que nous sommes fatigués. Cependant nous dormons un peu sur le matin malgré les puces qui, dans la paille, sont tout à fait chez elles.

Nous revoici en colonne par 5, c’est la formation en vigueur ici. Nous buvons un peu d’eau chaude qui s’appelle café et nous quittons nos bâtiments d’un soir pour rentrer dans le vrai camp. L’on nous distribue rapidement une couverture, une gamelle, un quart, cuillère, fourchette et nous sommes affectés à un bâtiment après avoir reçu une plaque avec notre numéro de matricule. Couverture sur l’épaule, valise à la main, nous devons ressembler à ces camelots qui vont de porte en porte, à l’affût d’un client. Toujours par 5, nous approchons des bâtiments A.

Nous sommes assaillis de toutes parts par les anciens qui viennent au-devant de nous, dans l’espoir de retrouver un camarade. Nous voyons Claude Lemaitre, toujours souriant, qui vient à notre rencontre et nous aide à notre installation.

Front stalag 122, matricule 28-937, bâtiment A-5, chambre 7, voici ma nouvelle adresse pour quelque temps. Tout n’est qu’habitude. Évidemment !

Encore faut-il pouvoir s’habituer et je vous affirme, les débuts sont difficiles.

Ici ce sera malgré tout le repos, nous revivrons comme des hommes et nous pourrons nous préparer physiquement et moralement au grand voyage. Je vous dirai la prochaine fois la vie que nous avons menée à Compiègne et plus tard, lorsque nous aurons franchi la porte de Mauthausen, nous repenserons que, malgré tout, Compiègne, c’était encore le bon temps.

7          Compiègne-Royallieu 2.

Oui ! Compiègne c’était encore le bon temps ! Les bâtiments où nous étions, étaient commandés uniquement par des Français et nous ne voyions guère les gardiens S.S. qu’au moment des appels, matin et soir, cela ne prenait généralement que peu de temps. De plus, contrairement à la règle en vigueur dans les camps de déportation, où même les morts devaient être présents à l’appel, à Compiègne, les malades avaient la faculté de rester allongés sur leur lit.

Vite, nous nous sommes organisés. Dans la même chambre nous nous sommes regroupés au maximum et nous avons réussi à former un groupe d’une quinzaine d’Orléanais.

Chance inespérée pour nous tous, à Compiègne, nous avons retrouvé un autre orléanais, le docteur Ségelle qui dirigeait l’infirmerie. Jamais on ne dira assez tout ce qu’à fait ce dernier pour tous les Français du Camp de Royallieu et particulièrement pour ceux d’Orléans. Mise au courant, encouragements, réconfort, conseils, le docteur a tout fait pour nous. Grâce à lui nous avons pu écrire clandestinement dès le lendemain de notre arrivée à tous nos amis et également par lui, nous avons reçu du courrier en retour qui échappait au contrôle.

Lorsqu’il a fallu quitter Compiègne pour l’Allemagne, vous qui saviez, docteur, où nous allions, dans quel enfer nous serions plongés, dans quelles conditions nous allions voyager, vous nous avez préparés moralement avec les mots qu’il fallait et cela sans nous effrayer inutilement, ne disant que l’indispensable, et le matin du 6 avril 1944, lorsque vous avez vu ce convoi qui partait pour les bagnes et qui comprenait tant de vos amis, je comprends maintenant l’émotion qui vous étreignait et que vous aviez du mal à cacher.

Pour tous, pour tout, à vous, docteur Ségelle, notre amicale et profonde reconnaissance.

… Vers 7 heures, le matin, le réveil. Dans chaque chambre une corvée de « jus » part aux cuisines pour chercher ce que l’on appelle le café.

Nous avons, entre le réveil et l’appel, une heure à disposer. Souvent, nous nous permettons le luxe de prendre notre café au lit. Fradet, toujours levé le premier, nous passe à chacun notre ration, nous sommes dans des lits à trois étages très rapprochés les uns des autres et c’est une véritable gymnastique qu’il fait pour nous être agréable. Toi aussi, tu resteras à Mauthausen et tu ne connaîtras pas le retour.

L’appel terminé, nous sommes libres dans le camp jusqu’au soir, et chacun, selon son idéal et des réactions, organise sa journée.

Pour les catholiques, la chapelle nous est ouverte et chaque matin nous avons le réconfort d’assister à la Messe et de communier pour ceux qui nous sont chers et d’avance nous offrons nos sacrifices à venir. Quels prêtres superbes nous avons connus ! Le Révérend Père Riquet, le Père Jacques et tant d’autres.

Tous nous nous souvenons des magnifiques conférences du Père Jacques, où, « entre hommes », il nous parlait des graves problèmes de la vie.

Pauvre Père Jacques, vous n’êtes pas rentré, mais combien vous avez su nous aider là-bas et nous communiquer un peu de votre foi et de votre ardeur. Nous ne savions pas que nous avions près de nous un Saint, mais nous ne sommes pas surpris d’apprendre que l’Église, bientôt, vous comptera parmi ses béatifiés. Continuez à nous aider Bienheureux Père Jacques et vous qui aviez un langage si direct vis-à-vis du Ciel, permettez-nous de reprendre votre expression : « Vous qui êtes un planqué, pensez à nous qui ne le sommes pas ».

D’autres, par groupe, faisaient inlassablement le tour du camp en fumant et en discutant. Dans l’immense cour, des parties de football s’organisaient, la bibliothèque avait aussi ses amateurs fervents. Et le soir, ou les jours de pluie, d’interminables parties de cartes nous réunissaient.

La journée était coupée par les repas, la distribution des colis et l’appel du soir. Le jour où Garcin reçut un colis de 40 kilos, ce fut pour nous la fête et l’abondance, tant en ravitaillement qu’en cigarettes. Quelles têtes faisaient les Allemands devant cette richesse !

Le comique avait aussi sa place. Un midi, les cuisiniers nous avaient soignés et nous avions touché 2 boulettes de viande. Régal général. Mais… Oui il y a un mais, la viande était un peu avancée et le soir sur le camp, une panique générale déferla de bâtiment en bâtiment et quand je dis panique, je me comprends. Je vous conseille les boulettes de viande « avancée » comme purgatif merveilleux et infaillible, nous en avons fait l’expérience et elle est, croyez-moi, concluante. Dans le fond des bâtiments, près des lavabos, nous avons failli être… submergés.

Nous devons également à notre séjour à Compiègne, de bonnes distractions que nous donnèrent nos camarades communistes venant de la prison de Blois. Et qui organisèrent des séances récréatives très réussies.

Mais un jour, le 4 avril 1944, nous apprîmes que nous étions du prochain convoi…

le lendemain, les visages se sont alors un peu assombris. Mais je vous le répète… Compiègne, c’était malgré tout le bon temps »

(René Guichet, « Les Mauvais Jours »)           A suivre !


Mai 1944

Claude Lerude est toujours dans une prison en France… Mais, la guerre et l’Occupation continuent sur Orléans :

Le 7 mai : Philippe Pétain et madame sont accueillis par une foule nombreuse à la Préfecture…

Mais, le 11 mai,  un avion allié tombe sur le Quartier Carmes-Illiers !

Le 20 mai, les bombardements sont meurtriers sur la gare des Aubrais et le faubourg Bannier…

Le 21 mai, la Kommandantur rue de la République est atteinte, par un obus allié, avec une précision chirurgicale étonnante…

Dans le récit de René Alexis, pp. 72 : (23 mai 1944) …  « Mon père, chef d’îlot de son quartier de la Bourie Rouge, part sitôt la fin de l’alerte. Il peut dégager la mère Lerude, une voisine coincée dans sa cave… »

(Cette veuve Elisa Lerude décèdera le 25 ! Après recherches généalogiques, celle-ci, était depuis 1917, veuve de Charles Lerude, cousin germain des grands parents de Claude, mais aussi… de nos propres arrières-grands parents : Aristide et Amélie !)

Claude Lerude va bientôt partir pour l’Allemagne, comme ses nombreux compagnons, quelques temps avant lui, dès avril 1944.

Voici le témoignage poignant du départ de René Guichet et de ses amis, toujours dans son livre « Les Mauvais jours » :

« Nous venons de quitter le Camp de Royallieu. Depuis hier soir nous étions isolés dans les bâtiments de quarantaine après avoir subi une fouille sévère. Ce matin, 6 avril 1944, de bonne heure, le réveil. Nouvelle fouille. Distribution rapide d’une boule de pain et d’un saucisson par personne et maintenant par 5 en de grandes colonnes, nous avançons vers la Gare de Compiègne.

Un service d’ordre important est en place tout le long du parcours. Défense absolue d’approcher. Circulation des autos complètement interdite. Aux carrefours des mitrailleuses sont en place. De chaque côté de nous, une haie de gardiens farouches, brutaux qui maintiennent à coup de crosse l’écart entre les rangs, font avancer les retardataires. La vague humaine en route pour les bagnes nazis avance. C’est un piétinement, un martèlement de pas, une rumeur incertaine faite du bruit confus des conversations rapides échangées entre camarades, entremêlée du cri plaintif et déchirant d’un des nôtres qui vient d’être schlagué ; c’est un troupeau en route vers l’abattoir.

Mais pourquoi ces visages consternés derrière les rideaux des fenêtres ? Pourquoi grand-mère entr’aperçue derrière les volets mi-clos de votre demeure pleurez-vous si fort et avez-vous le visage bouleversé ? Pourquoi toute cette tristesse tout au long du chemin ?

Voyons ! Nous partons pour l’Allemagne, c’est certain, mais enfin nous en reviendrons bientôt, les Alliés sont sur le point de débarquer et pour Noël il y aura longtemps déjà que nous serons dans nos foyers…

Nous savons maintenant bonnes gens de Compiègne, pourquoi vous pleuriez, vous aviez raison de porter la tristesse en vous, la réalité fut tellement pire encore que ce que vous pouviez vous imaginer !

Mais nous, qui avançons devant vos fenêtres, nous ne savons pas encore. Nous avons eu le droit de garder toutes nos affaires personnelles, il peut faire froid là-bas, cela n’aura aucune importance, nous avons dans nos valises ce qu’il faut pour affronter l’hiver : pull-over, chaussettes de laine, passe-montagne, rien ne manque. Nous travaillerons ! Et puis après, le travail c’est la santé. Nous nous développerons voilà tout, et reviendrons plus forts qu’avant.

Également nous aurons l’aide de la Croix-Rouge, les colis américains, les lettres des nôtres. Ce sera vivable, il ne faut pas s’en faire, un peu de courage ! Et nous en avons à revendre !

Marcel Garcin est devant moi, à coté : Boussion – Changeux – Fradet – Chandezon – Brisebat – Solard. Les Orléanais ont gardé le contact et ensemble tout ira bien.

… Mais quoi ! Qu’est-ce que c’est ? Qu’arrive-t-il ? Là-bas près du pont ?

… Ces femmes qui sont maintenues de force par les sentinelles… Mais, qui sont ces femmes ? Que viennent-elles faire si tôt ? Mais pourquoi ces mouchoirs ces cris… ? André, Pierre. Mon chéri… Femmes de déportés vous avez su clandestinement qu’aujourd’hui il y avait un départ et vous êtes venues pour voir une dernière fois, ou tout au moins avec l’espoir d’apercevoir « le vôtre ». Nous ne vous en voulons pas. Pour beaucoup cela a été la dernière vision d’un être aimé… Mais ce jour-là vous nous avez coupé notre courage, vous avez amolli notre décision de lutter, vous avez fait monter des larmes à nos yeux… C’est mauvais pour un bagnard.

Et dès que nous avons réalisé que, peut-être, il y aurait une personne pour nous, rien ne compta plus, ni les coups de crosse, ni la schlague, plus qu’une chose : regarder… regarder avidement chaque visage que nous croisions, chaque silhouette pour retrouver celle qui aurait pu venir.

Tout à coup, sur notre droite, un groupe de femmes, un cri : Marcel ! Garcin devant moi se retourne, oui c’est pour toi Marcel, c’est ta femme qui est là et d’autres Orléanaises : Madame Solard également, je crois, Madame Terramorsi … Nous regardons…

– Bon courage. C’est du peu. Embrasse les enfants…

C’est toi Marcel qui a réagi le premier et ta femme, un mouchoir à la main, te regarde, te fait des signaux, mais ne peut rien dire, ni répondre. Je refoule l’angoisse qui m’écrase la gorge.

– Dites à Orléans que Guichet est également du transport.

Et chacun lance son nom pour que chez nous on sache que nous sommes ensemble.

Non, il n’y aura personne pour moi, ni pour toi camarade à ma droite, ni pour toi qui est à ma gauche… Et bien ma foi, tant mieux, c’était de trop d’un seul coup. Garcin ne dit plus un mot, il baisse la tête, avance en titubant, des sanglots le secouent. Allons frère, du courage nous voici à la Gare.

Le cordon de troupe se resserre. Déjà nous sommes devant une rame de wagons à bestiaux. Toutes les lucarnes sont grillagées et fermées. Homme 40… Brutalement, à coup de crosse de fusil, on nous fait monter dans un wagon : 10 – 30 – 50 – 100, c’est de la folie, ce n’est pas possible ils se trompent.

Et toujours d’autres, d’autres… mais serrez bon sang… mes pieds… tu me fais mal.

… ma valise… avancez, serrez-vous… 120… 140… l’enfer !

Les portes sont fermées. Plus de lumière, plus d’air… mais enfin, c’est impossible ! Comment voulez-vous que ce soit possible, nous sommes des hommes, voyons !

…La porte s’ouvre violemment. Ah ! Il y a sûrement une erreur.

Un jeune S.S. debout à l’entrée du wagon, nous lit dans un excellent français :

« Le chef du convoi vous fait savoir qu’il ne tolérera aucune évasion. Il est de votre intérêt de rester calme. Si vous ne tenez pas compte de cette recommandation, vous serez complètement déshabillés et nus, mis 200 par wagon ».

La porte se referme.

Tous nus, mais c’est du chantage, c’est de la blague, jamais ils n’oseront…

Et pourtant ils osèrent.

N’est-ce pas mes amis ? »

18 mai 1944 : vient donc le tour pour Claude Lerude, de partir, certainement dans les mêmes conditions, depuis Compiègne, vers les Camps, là-bas.

C’est le départ pour l’Allemagne : on entasse les déportés à 140 dans des wagons à bestiaux. Ils errent pendant huit jours, puis arrivent le 24 mai au soir, au camp de Neuengamme, près de Hambourg, où il ne va d’ailleurs rester que très peu de temps, puisque le 30mai, il est envoyé dans le Kommando de Fallersleben au nord de Braunschweig (Brunswick en français) un peu à l’ouest de Wolfsburg (la ville créée pour Volkswagen).

C’est là qu’il va passer la quasi-totalité de sa Déportation. Ce Kommando de « Fallersleben-Laagberg » était très dur aussi, les Déportés ont fait toutes sortes de travaux de terrassement, des constructions ; ils étaient au service de la firme Volkswagen. Le Kommando comptait 656 hommes dont une majorité de Français.

(D’après les Recherches de Dany Percheron, historienne de la Déportation rencontrée à Lorris, e-mail de juin 2017)

Claude Lerude est comme tous ses compagnons, dépouillé de tout ce qu’il possède ; il est revêtu de la tenue rayée des bagnards allemands et on lui attribue le matricule 30.313. (courrier et photocopie de M. BROSSARD).

Il est employé comme maçon. Il souffre cruellement de la faim, et son état physique est rapidement atteint.

Mais le moral demeure inchangé. Un de ses camarades de camp écrit : « Claude travaillait avec moi, nous étions maçons ; nous nous arrangions très bien. C’était un très bon « copain », aimé de tous ; il était serviable et rendait service chaque fois qu’il le pouvait. » (Yves Cuillours).


Juin-juillet 1944

Comme des milliers d’autres résistants, Claude Lerude est depuis plus d’un mois prisonnier déporté en Allemagne, dans des conditions épouvantables, très difficiles…

Avant de revenir sur l’une de ses cartes écrites en allemand, le 25 juin 1944, il nous semble nécessaire d’évoquer la guerre qui continue sur Orléans et le Loiret.

« Ils ont débarqués »

Ce fut le 6 juin : le débarquement, très longtemps attendu, comme en témoigne le courrier (inédit !) de Claude Lerude, adressé à son ami ancien scout Marcel Alexis, le 26 avril 1943 (!), alors que celui-ci  se trouve encore à Munich : « J’attends le bébé pour le début de juin. Il y a eu de gros ennuis ce mois-ci, mais tout semble bien s’annoncer. » (Archives M. Alexis)

« L’information toucha même les camps de concentration. « Quel bonheur dans notre misère, pensa Claude Bourdet, alors interné à Neuengamme. Le roi n’était pas notre cousin. Nous nous sommes dit que nous pouvions supporter n’importe quoi maintenant, et que d’ailleurs nous serions rapidement libérés. » (« L’aventure incertaine. De la Résistance à la Restauration », Stock, 1975, p. 339, cité par Olivier Wieviorka « Histoire de la Résistance 1940-1945 », Perrin, 2013 p. 38).

On n’imagine pas ce que cela a pu représenter pour tous ces prisonniers et ou déportés, pour « celui qui croyait au Ciel, celui qui n’y croyait pas »  (d’après le poème « La Rose et le Réséda », de Louis Aragon mars 1943)

« Deux jours après le débarquement en Normandie, le 8 juin 1944, Orléans subit son troisième grand bombardement. Le pont du chemin de fer est visé. Dix arches sur quinze s’effondrent et la circulation est désormais interrompue entre nord et sud de la Loire. Les Aubrais sont, en même temps, à nouveau atteints et le seront encore dans la nuit du 11 au 12 juin 1944… » (« Histoire d’Orléans…, sous la direction de Jacques Debal, p. 236)

Pendant ces longs mois de juin et juillet 1944, Claude Lerude ne va pas pouvoir écrire très souvent.

Toutefois, le 25 juin, une carte écrite en allemand sera reçue en provenance de Neuengamme :

« La vie des Chantiers de Jeunesse m’a déjà habitué à celle d’ici. Bonne santé, avec de bons camarades catholiques. Envoyez des paquets avec des vêtements de travail et de la nourriture. Je pense à tous mes garçons, à mes saintes femmes (grand’mères et maman), et à tous les miens. Je ne suis plus avec ma famille, mais ce temps ne sera pas perdu. Merci pour tous… » (Cité par F. Wetterwald, dans la biographie sur Claude Lerude).

Concernant l’événement fondamental que fut le 6 juin 1944, pour l’évolution du Conflit et aussi le sort de la Seconde Guerre mondiale, nous souhaitons rappeler ici, que n’ayant pas été mis au courant par les Alliés anglo-américains, le général De Gaulle n’a jamais voulu être associé aux commémorations du 6 juin 1944…

Ce fait est peu connu, et il nous semblait important à préciser.

Nos lectures, nos études et recherches nous conduisent à reconsidérer certains événements de la Seconde Guerre mondiale et, pourquoi pas, à contribuer à proposer, comme d’autres, une nouvelle vision historique des faits.

Mais nous devons encore beaucoup lire, consulter directement toutes les archives pour pouvoir apporter utilement, si possible, notre pierre.


Août 1944

Dans ce mois d’août 1944, Il y a donc la vie dans les camps, qui se poursuit inexorablement : « la survie ! ». De multiples témoignages nous ont appris, depuis le retour des prisonniers, ce qu’étaient vraiment ces camps de la mort organisés par les nazis. La faible santé de Claude ne pouvait lui permettre de supporter longtemps cette terrible épreuve… Et, pourtant, les jours passent, les semaines et les mois… Combien de souffrances ! Combien de moments dramatiques !

Et, un message, écrit en allemand le 10 août, parviendra rue de Coulmiers, à Orléans… le 16 août !

Et, pendant ce temps-là, en France la vie continue, avec bien sûr des souffrances endurées par la population et par les unités au combat dans tous les territoires qui se libèrent peu à peu !

Nous avons décidé de donner une grande place désormais aux actualités dans notre Région, en contrepoint de l’absence d’information sur la vie quotidienne des prisonniers déportés, et de Claude Lerude…

Nous publions en fin de cet agenda d’août 1944, la lettre de Claude à sa chère maman, dans Orléans qui se libère !

-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*

1er août : Un vaste coup de filet de la Gestapo démantèle une nouvelle fois, le groupe « Vengeance ».

3 août : Arrestations de résistants au château de Bellevue, au sud de Nogent-sur-Vernisson, dont celle d’André Coquillet qui est assassiné en compagnie de plusieurs de ses compagnons.

6 août : attaque du maquis de Chambon-la-Forêt.

7 août : Début de formation du maquis du Bois-Thomas près d’Ingrannes, à partir d’éléments des « Ateliers d’Orléans », sous le commandement du capitaine Gauthier, tous éléments d’un important corps franc Vengeance.

08 août : Ordre de guérilla générale donné dans la forêt d’Orléans, afin d’empêcher l’armée allemande de traverser la Loire et de faciliter l’avance de l’armée américaine de Patton.

9 août : Le maquis de Lorris accueille près de 300 volontaires (500 hommes le 14 août).

10 août : Un détachement allemand venu chercher les prisonniers de Pithiviers pour les déporter trouve le camp vide. À Puiseaux, la Gestapo de Paris arrête 14 notables qui sont déportés. Douze d’entre eux ne reviennent pas des camps.

12 août : Combat de Chicamour dans la forêt d’Orléans, avec des pertes (9 maquisards et 4 civils). Capture à Gien par les maquisards de Chevassus, puis de Moulet, deux agents français de la Gestapo.

12-14 août : Combats et massacres dans la région de Lorris (49 victimes dont la plus âgée a 75 ans et la plus jeune 5 ans)

13 août : Le régiment de sécurité 1010, chargé de combattre, sous les ordres de la Gestapo, les maquis du Loiret, investit le château de Chamerolles, avec 200 à 300 hommes. Bilan de cette opération de « ratissage » : 13 personnes, maquisards ou civils, fusillés. En mission de liaison, le capitaine Giry et le lieutenant Abbé Thomas sont capturés et exécutés par les allemands sur la route qui relie Sully-la-Chapelle et Chamerolles.

15 août : Les FFI alertent les troupes du général Patton, qui s’approchent d’Orléans. Un train de munitions allemand explose à Saran.

16 août : Partie d’Ormes, une colonne américaine investit Orléans par l’Ouest. La résistance collabore efficacement à l’opération en guidant les Américains et en réduisant les poches de résistance allemandes, appuyant la marche de la 35e Division d’infanterie US. Vers 15 heures, ils parviennent à l’Hôtel Groslot, à la Mairie de la Ville d’Orléans. C’est aussitôt la liesse… Mais ! Un résistant postier, Roger Avril, chef du groupe « Vengeance », est abattu alors qu’il tente d’empêcher la destruction d’un central téléphonique à Orléans. Toujours des accrochages au sud de la Loire, à Mareau-aux-Prés, St Hilaire-St Mesmin, et Saint-Marceau (le quartier sud d’Orléans). Libération d’Artenay, mais aussi de Patay, Neuville-aux Bois et Loury…

17 août : André Mars, le Commissaire de la République s’installe à la Préfecture… Les batteries américaines atteignent le clocher de St-Marceau… Les maquisards de la forêt d’Orléans pénètrent à Châteauneuf-sur-Loire, et effectuent leur jonction avec les troupes américaines à hauteur de Pont-aux-Moines. Les américains occupent Neuville-aux Bois, Trainou, Fay-aux-Loges, et arrivent à Ascoux.

18 août : Le colonel O’Neil suivi de ses hommes défile dans la rue de la République avant d’allé participer à la Libération de Paris. Sur la rive gauche de la Loire, le groupe Vengeance des sapeurs-pompiers d’Orléans oblige une colonne allemande à abandonner ses armes et son matériel pour s’échapper. Sur la route, entre Saint-Gondon et Poilly-les-Gien, le lieutenant Bildstein, des Corps-Francs Vengeance, et trois de ses camarades tombent dans une embuscade. Ils y perdent la vie.

19 août : Accrochage à Mareau-aux-Prés avec pertes chez les FFI, mais aussi exécution d’otages. Combats également très sérieux à Tigy, où un massacre sera évité, grâce aux interventions du docteur Bejot, de l’abbé Vallee, et du Suédois Hugo Kraft.

20 août : Désigné par les mouvements de résistance, le conseil municipal d’Orléans se réunit pour la première fois. En attendant le retour d’André Dessaux, toujours déporté et élu maire, le docteur Chevallier occupe le fauteuil de Premier Magistrat de la ville. Le groupe de résistance de Gien occupe un camp de chars allemands, au nord de Gien, à « Bois d’Amblay ».

21 août : Les troupes alliées entrent tôt à Pithiviers ; les Allemands ayant évacué les lieux dans la nuit. À Olivet, le boucher Marcel Belot résistant Vengeance est capturé, puis sera abattu en tentant de s’enfuir…

22 août : Représailles allemandes à Ligny-le-Ribault : des otages enfermés dans l’église durant 32 heures… Mais ils pourront s’en sortir sans aucune violence. Les Allemands font sauter le pont de Gien et quittent les lieux. Le capitaine Demarie et ses troupes entrent dans la ville aux commandes de chars allemands. Aucun coup de feu n’a été tiré.

23 août : Accrochages sérieux au pont St-Nicolas à Saint-Hilaire St-Mesmin ; les Allemands font sauter deux arches du pont. Libération de Montargis par les troupes alliées et les FFI.

24 août : Le maquis de Sologne, dirigé par le commandant Thenard, est prêt à une grande attaque, avec le soutien de l’aviation alliée. Suite à des cafouillages, l’opération ne peut avoir lieu. Les nombreux combattants se replient et rejoignent Orléans.

19 au 25 août : Combats et Libération de Paris. «  Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré, libéré par elle-même… ». Charles de Gaulle à l’Hôtel de Ville !

26 août : Les troupes allemandes multiplient les exactions. A La Ferté St-Aubin, elles fusillent cinq parlementaires désarmais…

27 août : Une fête populaire se déroule dans les rues d’Orléans…

30 août : Sully-sur-Loire connaît une nuit d’angoisse, avec toute  la population rassemblée dans les salles du château. Mais les troupes allemandes vont évacuer la ville…

31 août-1er Septembre : Départ presque général des Allemands cantonnés en Sologne, toujours harcelés par la Résistance.

(Extraits de « L’été de la Libération dans le Loiret » Serge Vannier, Editions CPE, 2005)

-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*

Et voici donc la lettre datée du 10 août 1944, de Claude Lerude (traduit de l’allemand) :

« Ma Chère maman…

Je pense que tu es contente de moi. Nous sommes toujours à la campagne. Je suis devenu maçon, ce qui est mieux que de travailler sous terre. Ma santé morale et physique est toujours bonne. Je suis avec de bons camarades, et ce temps est encore bon. Mon cœur est souvent à Orléans : à cette heure, tu es à l’église et je prie ; à cette heure, tu es dans ta chambre et je pense à mes livres ; à cette heure, c’est le repas et j’y suis avec toi… Bientôt cinq ans que nous sommes séparés. Mais nous nous retrouverons toujours tous les deux en Dieu… Amitiés à toute la famille scoute. »

Cette lettre, transmise aussitôt à tous ses amis, a bouleversé dans Orléans libérée, comme en témoigne dans son récit, René Alexis : « La dernière lettre de Claude écrite en allemand à sa mère le 16 août 1944 se termine par ces mots : « Je vous embrasse très affectueusement (sa mère et sa grand-mère) ainsi que toute la famille scoute ». Il avait signé avec son habituelle croix scoute et la mention S R (scout routier). Ainsi jusqu’au bout, il était de pensée avec nous, ses anciens. »

Dernière lettre Claude Lerude
Source : GUILLAUME Paul. Au temps de l’héroïsme et de la trahison. Loddé, Orléans, 1978.

Ce message, nous le savons désormais, aura été le dernier adressé par Claude Lerude.

Désormais, à cette place sur ce site, nous poursuivrons à intervalles réguliers, 75 ans après, le « Chemin de Croix » de Claude Lerude et de ses compagnons, de misère…

Nous pourrons ainsi continuer à le suivre sur son Chemin et à partager ses malheurs, mais aussi ses projets, parce que, comme tout prisonnier, il pensait toujours pouvoir revenir…


Novembre 1944

Au mois de novembre, Claude Lerude est toujours au Kommando de Fallersleben-Laggberg, au nord de Braunschweig (Brunswick en français), un Kommando, au service de la firme Volkswagen… Il tombe malade : l’affection la plus commune des bagnes allemands : œdèmes des membres inférieurs. Dès lors, il ne va plus travailler que très irrégulièrement. Il passe la plupart de ses jours à la « chambre chaude », où sont entassés tous les inaptes au travail, avec une nourriture encore réduite. Mais il continue à s’occuper des autres, et notamment de deux jeunes de 14 et 15 ans !

(Recherches de Dany Percheron, historienne de la Déportation, e-mail de juin 2017, et François Wetterwald, Biographie « Claude Lerude », p. 24)

Et, pendant ces longs mois, la vie continue à Orléans ! Les Orléanais vont pouvoir se procurer un supplément de La République du Centre, le 11 novembre, un numéro spécial sur la libération d’Orléans. Dans ce supplément de 16 pages, avec photos et aussi des publicités ! Ils trouveront un éditorial de Roger Secrétain :

Le temps viendra où des érudits locaux ayant patiemment et scrupuleusement reconstitué les faits, nous offriront une «  Histoire de l’occupation et de la libération d’Orléans ». Il y faudra un gros volume.

Notre ambition est plus modeste. C’est aujourd’hui le 11 novembre. Depuis quatre ans, l’anniversaire de l’Armistice ne pouvait plus être célébré. L’ennemi était là, qui nous empêchait de manifester les sentiments de patriotisme les plus nobles et les plus naturels, s’ingéniant à supprimer du calendrier français les grandes dates, ces dates de nos victoires qui étaient souvent les dates de ses défaites. Il croyait, en sa barbare naïveté, qu’il les supprimait pour autant dans nos cœurs. Mais nous sentions nous-mêmes que toute célébration du 11 novembre ne serait pas possible tant que la honte de 1940 n’aurait pas été effacée, tant que les bottes de l’envahisseur souilleraient le pavé de nos rues et le sol de nos campagnes.

L’ennemi est parti. Ce furent, je l’imagine, des journées extraordinaires pour ceux qui ont eu la chance de les vivre. La République du Centre a pensé que l’occasion était propice pour offrir à ses lecteurs orléanais quelques-uns des traits et des images qui se rapportent à la libération de la ville. Mais elle a pensé que ce document ne devra pas seulement marqué notre joie d’être délivrés. Elle a voulu qu’on y voie un hommage à nos Libérateurs américains, aux vaillantes Forces Françaises de l’Intérieur, et plus encore à nos Martyrs et à nos Morts.

Puis suivent différents articles :

  • p. 2 : La dernière lettre de Louis Chevrin, l’un des fusillés du 8 octobre ;
  • p. 3, 4, 5, 6 : Comment la ville fut libérée  (signé R. L.) ;
  • p. 7, 8, 9 : La reprise de la vie publique (signé E. Cailleteau)
  • p. 10 : La résistance dans les P.T.T. (signé Ch. Leroy)
  • p. 11 : L’histoire du train de prisonniers et de l’hôpital Saint-Aignan
  • p. 12, 13 : Une victime des Allemands parmi tant d’autres : l’Abbé Pasty, curé de Baule. (signé Pierre Thevenin)
  • p. 14, 15 :  LES ASSASSINS ! (signé Roger Lemesle)
  • p. 16 : Ceux qui, pieusement, sont morts pour la Patrie… (signé R. S.) comprenant la liste des F.F.I. morts au champ d’honneur, la liste des fusillés d’Orléans ainsi que les fusillés de La Ferté.

Comme il s’agit ici d’un accompagnement chronologique au plus près du « Chemin de Croix » de Claude Lerude, nous ne nous permettrons aucun commentaire. Il conviendra, peut-être, dans un autre moment, de revenir entre autre, sur ces articles écrits, alors que beaucoup de résistants déportés sont absents et qu’au 11 novembre 1944, on est pour la plupart sans nouvelles d’eux, et qu’il est impossible de connaître leur destin…


Hiver 1944- 1945

Depuis le mois de novembre 1944, Claude Lerude est toujours au Kommando de Fallersleben – Laggberg », au nord de Braunschweig, un Kommando, au service de la firme Volkswagen…

Nous ne savons pas et nous ne saurons jamais ce que furent tous ces mois d’automne, puis d’hiver… Un hiver très rigoureux, dont nous connaissons la grande rigueur, notamment avec les combats incertains dans les Ardennes… Dans les Camps, ce devait être épouvantable : froid, manque de nourritures, brimades,  maladies, etc. Et pourtant, les jours succédaient aux jours, les semaines aux semaines, puis les mois !

Comme tous ces camarades déportés, Claude Lerude n’est donc plus qu’un numéro : le 30313.

Une nouvelle année 1945 arrive, avec donc à mi-janvier, le triste anniversaire de l’arrestation et ensuite des semaines à la prison rue Eugène Vignat, des interrogatoires de la Gestapo, de l’évasion avortée, etc.

Chacun des prisonniers déportés devait ressasser tous ces malheureux souvenirs, depuis le départ de sa ville ou son village, puis le passage par les camps de Fresnes et / ou Compiègne, puis enfin la destination de l’Allemagne et de ses camps…

Pendant ce temps, la vie continue là-bas, en France… La vie reprend, malgré tous ses nombreux absents. Mais reviendront-ils ces mères ou ces pères,  ces femmes ou ces maris, ces filles et  ces fils ? Et puis il nous faut croire que personne en 1945, ne peut alors même imaginer  leurs souffrances, l’étendue de leurs calvaires, de ces « Chemin de Croix », et … de leur issue !


Mars-avril 1945

Alors que le mouvement Vengeance attend toujours le retour éventuel de ses Chefs, une première réunion a lieu, le 9 mars 1945,  dans le département du Loiret à laquelle assistent 690 personnes dont Adrien Guyot et Henri Duvillard (article de Roger Secrétain dans La République du Centre du 22 mars cité par Y. Durand, p. 217).

Tous les résistants membres de Vengeance ne partagent pas cette entrée sur la scène politique. Ils  entendent pour la plupart demeurer fidèles à leur engagement apolitique, dans un mouvement qui n’avait qu’un seul but : celui  de combattre et chasser définitivement  l’Occupant, ce qui n’était pas encore complètement terminé, en mars-avril 1945 ! Certes, le territoire métropolitain était libéré, mais le nazisme possédait toujours une force de frappe et surtout détenait de très nombreux prisonniers…

Ceux qui reviendront après la défaite nazie, parmi lesquels  les dirigeants historiques du mouvement (Dupont, Chanelet Wetterwald, etc.) s’engageront alors aussitôt, pour se séparer de CDLL, pour faire reconnaître Turma-Vengeance, et organiser une importante Amicale regroupant tous les résistants du mouvement  et leur familles !

Mais nous ne sommes encore qu’au printemps 1945 ! La vie reprend et les élections municipales se tiennent fin avril, avec pour la première voix le vote des femmes françaises…

Fin mars 1945, Claude Lerude est transféré, avec d’autres, dans un train qui va les emmener à Wöbbelin. Dans ce transfert, c’est un enfer terrible, sans ravitaillement, avec bien des victimes chaque jour. Ces déportés n’arrivent que le 14 avril à Wöbbelin (camp de prisonniers de guerre qui avait été choisi comme camp de repli devant l’avancée des Américains et des Russes), entre Hambourg et Berlin.

À Wöbbelin, il y a plus de 10 000 déportés venant de divers camps et Kommandos.  Une maigre soupe et très peu de pain, un cruel manque d’eau, et toujours la violence des Kapos et des SS. Là encore la mort fait son œuvre à grande échelle ; la dysenterie faisant des ravages.

Claude Lerude est dans un état de faiblesse extrême… Il va pourtant lutter encore pendant de longues semaines. Il va se retrouver au Revier* du camp, avec des œdèmes généralisés ; mais comme il était d’usage, il ne reçoit aucun soin.


Mai 1945

Le 1er mai : les américains sont proches du Camp et du Revier où se trouve Claude Lerude. Nous possédons un témoignage précieux, et peu connu : c’est celui de Georges Siriex, né le 21/12/1901, membre de Vengeance, arrêté à Orléans le 27 juin 1944 et déporté à Neuengamme le 28 juillet 1944.

(Témoignage dans un Document de 10 pages de 1983,  transmis par Mme Dany Percheron)

Le « numéro 39556 »,  raconte les derniers événements dramatiques, et il va bientôt faire « une belle rencontre », qui va retenir particulièrement toute notre attention !

« … Les Allemands veulent faire évacuer les prisonniers valides, par chemin de fer ! Que va-t-il nous arriver ? Nous constatons que seuls les hommes pouvant marché ont été embarqués (dans les wagons), et que le Revier surpeuplé n’a pas été évacué… »

… Les vols d’avions sont de plus en plus nombreux avec des tirs de mitrailleuses et tout à coup on entend un gros dégagement de vapeur : la chaudière de la locomotive a dû être atteinte et la vapeur s’échappe…

« … Vers 10 heures on entend des vociférations à l’extérieur et le bruit caractéristique de la glissade d’ouverture des portières de wagons. Descendez et rentrez au camp. Les soldats nous poussent et interviennent des chiens qui aboient très fort, retenus par des soldats et nous repoussent vers le camp.

Alors nous assistons à un spectacle épouvantable. Le camp qui fut abandonné la veille est constellé de corps inanimés : les camarades laissés au Revier se sont traînés vers les cuisines et ont pu manger au point de s’en rendre malade et s’étouffèrent. Une corvée fut organisée pour enlever les corps jusque dans une fosse commune. La nuit arriva…

Au réveil, le camp fut divisé en deux secteurs par des soldats. Les détenus se tenaient par la main et formaient une chaîne : d’un côté les valides, de l’autre les fatigués, c’est le moins que l’on puisse dire. Notamment les occupants du Revier que je rappelle être très nombreux juchés sur des grabats de trois étages.

Un groupe de médecins s’était formé et ensemble ils envisageaient des solutions possibles. Une partie des hommes valides fut rassemblée et par cinq sous l’escorte de S.S. une colonne à pied sortit du camp et s’en alla.

Les autres étaient restés et j’avais eu le bonheur de m’y trouver. J’avais en effet en parcourant le Revier été appelé par Claude Lerude qui me reconnut et, bien sûr, notre conversation dura longtemps pour lui donner des nouvelles depuis son arrestation de fin janvier 1944. »

Son témoignage se poursuit avec les péripéties de la libération du camp par les Américains, mais aussi par une jeep conduite par un lieutenant français accompagné de trois ou quatre autres soldats français. Il évoque aussi les conditions de son retour depuis Ludwigslust en remerciant le ciel de n’être pas parti sur les bateaux qui furent torpillés et coulés entraînant un très fort contingent de détenus provenant de Neuengamme.

Georges Siriex ne le sait pas, mais il sera le dernier à avoir parlé avec Claude. Une fois libéré et rentré à Orléans, celui-ci s’empressera de venir rue de Coulmiers, où l’on prépare alors le retour désormais attendu du jeune Chef !

Mais les nouvelles conditions sanitaires, avec la libération du Camp, ne permettront pas de sauver Claude Lerude. Un hôpital est immédiatement organisé dans la ville la plus voisine, Ludwigslust. Le 3 mai, Claude Lerude y est transporté. Malgré des soins actifs, mais trop tardifs, le docteur Paul Faure essaye d’enrayer une douloureuse crise cardiaque, puis, le 5 mai au soir, le père Audrain, en traversant la salle où est Claude, s’entend appeler. D’une voix faible, Claude lui demande l’extrême-onction et le trouve mieux ; il peut donner son adresse et bavarder un instant.

Mais, le 7 mai au matin, Claude Lerude meurt d’épuisement.

Il est enterré sur une place de ce petit village, dans le cimetière créé par les Alliés, mais en zone russe.

* Un Revier (abréviation de l’allemand krankenrevier) est le quartier des malades, dans le langage des camps de concentration nazis. C’était un ensemble de baraquements destiné aux prisonniers malades des camps. Le mot est prononcé par les déportés français : revir !

Dans une toute dernière intervention, dans cette rubrique, il nous faudra achever ce long récit du Chemin de Croix de Claude Lerude avec la relation de la triste nouvelle, à Orléans, en juin 1945.


Mai-juin 1945 : fin du récit du « Chemin de Croix » de Claude Lerude !

Désormais, là-bas, en Allemagne, Claude Lerude s’est éteint et rejoint ainsi son cher papa Paul, dont il avait pris le prénom pour pseudo, dans la Résistance… Il fut enseveli, sur une place de Ludwiglust, dans le cimetière créé par les Alliés pour les déportés. Ce camp est filmé par les reporters américains du 82ème Air Borne Division du général Gavin, avant d’être incendié pour éviter les épidémies. La population locale est requise pour enterrer les quelque deux mille cadavres entassés, qui formaient une véritable montagne (sur YouTube, il est possible de voir ce long film de 38’41 « The Liberation of the Wöbbelin Concentration Camp, may 2, 1945 »).

Juste avant de terminer ce récit en mai 2020, nous avons reçu de Dany Percheron ces quelques lignes. Cette historienne amie, venant de consulter les archives allemandes d’Arolsen qui ont mis en lignes certains documents d’enregistrement, a découvert que pour Claude Lerude, il y a trois fiches dont deux identiques en anglais (l’une écrite à la main, l’autre à la machine) et une 3ème avec du français et de l’allemand. Sur la fiche anglaise, on a « personal effects : 1 wrist white watch (une montre blanche au poignet) et 1 gold signet ring marked LP (une chevalière en or marquée LP). La 3ème fiche est une confirmation de décès, avec comme source de renseignements : Amt für Erfassung der Kriegsopfer, Berlin-Charl. (= Charlottenburg) Hardenbergerst. (= Strasse : rue), cela émane du bureau d’enregistrement des victimes de guerre situé à Berlin.

Ces renseignements sont très troublants, parce que comme elle le signale « Pour les objets je ne sais pas à quoi cela peut correspondre, car normalement tout était confisqué. Pour d’autres Déportés j’ai retrouvé des fiches en allemand qui correspondaient à un bilan de ce que le Déporté avait en entrant au camp (vêtements, objets, argent) et qui étaient « remis » à l’administration SS … ». Il demeure que cette chevalière nous intrigue, puisque les lettres « LP » peuvent être aussi P. L. c’est-à-dire Paul Lerude.  Mme Garban, la cousine germaine de Claude, s’est montrée très intéressée mais aussi assez circonspecte sur ces informations… Et si Claude avait gardé avec lui ce souvenir !

Mais, nous allons poursuivre ce récit en revenant en mai 1945, sur sa Ville, à Orléans, avec  le témoignage d’un de ses amis, René Alexis :

« Le 8 mai 1945, Orléans fête joyeusement l’anniversaire de 1429. Le défilé qui traverse la ville réunit des milliers de personnes dans un même enthousiasme. Nous sommes allés chercher madame Lerude pour la tirer de sa solitude, et nous nous  installons devant le 35, rue de la Bretonnerie, l’assurant que Claude serait heureux de la voir prendre part à l’allégresse générale. En vue du retour de Claude, nous mettons de côté tout ce que nous pouvons récolter en fait de sucre, confiture, chocolat, matière grasse, etc.,  pour le remettre en bonne forme… »

« Toutes ces choses seront malheureusement inutiles, le temps passe et aucune nouvelle de Claude ne nous parvient. C’est le capitaine Bertrad qui a le triste privilège d’annoncer à madame Lerude, la mort officielle de Claude. »

Nous nous permettons d’ajouter en complément de ce récit, les deux remarquables correspondances reçues, alors, par Madame Lerude. Au -delà de la qualité dramatique des témoignages du médecin et de l’aumônier du camp, il faut noter la grandeur des propos qui sont les parfaits reflets de cette époque… 

Courrier du Dr P. Faure à Madame Lerude du 15 juin 1945

Madame,

Lorsque je suis arrivé au Camp de Wobbelin, le 17 avril 1945, j’ai trouvé votre fils Claude Lerude en traitement à l’infirmerie du Camp. Je lui ai donné les soins que me permettait le petit arsenal thérapeutique qui était mis à notre disposition. Jusqu’au 3 mai, jour de l’évacuation du Camp de Wobbelin sur l’hôpital de Ludwigslust.

Votre fils avait, m’a-t-il expliqué, depuis plusieurs mois de l’œdème des membres inférieurs. Cet œdème si fréquent dans les Camps de concentration politique, était dû à l’état de dénutrition intense dans lequel se trouvait la plupart de nos pauvres camarades.

Mais pour venir de Wobbelin, il lui fallut rester cinq jours debout dans des wagons à bestiaux découverts, sans vêtements chauds et à peu près sans nourriture, de telle sorte que son œdème augmenta. Il pressentait alors de la bouffissure du visage et on trouva dans ses urines une notable quantité d’albumine. De plus, il présentait au cœur un dédoublement du 2e bruit. Il fit donc une néphrite aigue, qui au bout de quelques jours semblait rétrocéder. Mais au Camp, pas de régime lacté à instaurer, votre fils mangeait ce qu’il pouvait, comme les autres. Le 3 mai, lorsque les américains le transportèrent à Ludwigslust, son état général tout en laissant à désirer, pouvait laisser espérer que sa jeunesse et sa forte constitution auraient raison de sa maladie. Mais quelques jours après, alors qu’il se trouvait dans des conditions matérielles bien meilleures, il fut pris d’essoufflements violents, son cœur, malgré les tonicardiaques, administrée en injection se fatiguait et à partir de ce moment-là, son état devint très grave, sinon désespéré.

Cette période pénible ne dura pas, il alla ensuite progressivement en s’affaiblissant et rendit le dernier soupir sans agonie.

Il fut ensuite enseveli dans le cimetière de Ludwigslust et eut le secours de la religion, tant à ses derniers moments que jusqu’à sa dernière demeure. Il a une tombe avec une croix du modèle américain comme tous ceux qui sont restés à Ludwigslust. Si pénible que soit pour vous la lecture de ce que je viens de vous raconter, j’ai cru de mon devoir de le faire, sans rien vous cacher.

La seule chose que je regrette, c’est de ne pouvoir vous donner exactement la date de sa mort, mais je la situe du 8 au 14 mai.

En m’excusant de raviver votre douleur, je vous prie, d’agréer, Madame l’assurance de la part que je prends à votre malheur et de recevoir mes hommages respectueux.

Signé Docteur P. Faure              La Voulte sur Rhône (Ardèche)

Courrier de Jean Audrain du 21 juin 1945

Chère Madame,

C’est au nom de votre cher fils que je vous écris aujourd’hui.

Prêtre et prisonnier de guerre, je suis resté un mois comme aumônier, à l’hôpital de Ludwigslust en Allemagne où se trouvaient les déportés politiques malades du Camp de Wobellin.

Votre cher Claude était là le 5 mai quand j’arrivai. Ils avaient été libérés le 2 par les Américains.

Malgré les souffrances endurées au Camp, votre fils paraissait, encore assez solide, mais il avait une pleurésie et il était déjà bien tard pour le soigner. Il se montra extrêmement courageux et supporta ses douleurs sans se plaindre, les offrant à Dieu, pour vous et pour la France. Il m’a chargé de vous redire son affection et je dois en même temps vous exprimer mon admiration pour cet enfant qui avait une foi splendide et un cœur si généreux.

Vous avez vécu dans l’espoir de revoir votre fils et de le serrer dans vos bras. Le bon Dieu vous demande un grand sacrifice, vous ne le reverrez qu’au ciel où il vous attend.

Il est mort le 7 mai, après avoir communié, offrant sa vie pour ses parents et pour la France.

Sans doute était-il déjà bon chrétien, la souffrance avait rapproché son âme du Sauveur, et il est mort comme un saint. Que cela soit pour vous une grande consolation Chère Madame. Vous avez un protecteur qui avec tout son amour veille sur vous.

Je demande au bon Dieu de vous donner la même force d’âme qu’au cher petit. Je ne l’ai connu que très peu, mais assez, pour l’aimer beaucoup. Je compte passer à Orléans au début août et je vous ferai si possible visite pour vous parler plus longtemps de lui.

Vous pourriez avoir des renseignements par l’abbé Lhuilier vicaire, 49, rue du Palais de Justice à Melun, qui était avec lui au Camp de concentration et qui l’a bien connu.

Je suppose que cet abbé qui était aussi malade est rentré maintenant.

Vous pourriez aussi me voir à Paris, impasse de St Eustache.

Veuillez agréer, madame, l’hommage de mes sentiments respectueux.

Signé Jean Audrain, Prêtre de l’Oratoire

Pour conclure le Chemin de Croix de Claude Lerude, nous reprenons le récit de René Alexis, avec son témoignage, lui aussi poignant, rappelant la fin de la « belle équipe » autour du  jeune Chef scout résistant :

« Le lundi 4 juin 1945, est célébré en l’église Saint-Paterne, un service à la mémoire de notre ami ; scouts et résistants confondus. Le catafalque tricolore, recouvert de son uniforme et des insignes scouts, est entouré de routiers montant une garde d’honneur. »

Un article de La République du Centre allait relater la cérémonie, en associant à celle-ci, une autre célébrée le même jour, à Châteauneuf-sur-Loire, pour Jean Joudiou, membre de « Libération-Nord », sous le titre suivant : « Les services funèbres pour les martyrs de la Résistance », et en sous-titre : « La mémoire de Claude Lerude et celle de Jean Joudiou ont été célébrées lundi ».

« Lundi matin, en l’église Saint-Paterne, un service religieux a été célébré à la mémoire de Claude Lerude, décédé le 6 mai dernier à Ludwigslust.

Claude Lerude était scout routier, membre actif de la Résistance. Il fut déporté par les Allemands au début de l’année dernière. Il est mort des mauvais traitements que lui ont fait subir les brutes nazies.

Une foule nombreuse et recueillie se pressait dans l’église tendue de noir et de tricolore. M. André Mars, commissaire de la République et le général Delmas avait tenu à apporter à la famille du jeune martyr, le témoignage de leur sympathie. Une délégation du groupe »Vengeance » auquel il appartenait, était également présente.

Un catafalque aux couleurs nationales et recouvert de l’uniforme et des insignes scouts du défunt avait été dressé dans le cœur. (sic)

Des routiers, ses anciens compagnons montaient une garde d’honneur.

Poignante cérémonie. La mort certes, la mort accablante, déchirante, injuste, mais une mort sereine, admirable, avilissant pour toujours ceux qui l’ont causée.

Claude Lerude est parti avec la certitude triomphante de son idéal et c’est cette certitude qui inspiraient les routiers, ses compagnons, quand ils chantaient à l’absoute, les yeux illuminés, ce « Chant des adieux » : « Ce n’est qu’un au-revoir ».

L’article évoquait ensuite, le même jour à 19 heures 30 en la chapelle Jeanne d’Arc de Châteauneuf-sur-Loire, le service religieux à la mémoire de Jean Joudiou, instituteur, membre de « Libération-Nord », en présence d’une foule extrêmement nombreuse…

A la fin de cet article La République du Centre adresse à la famille de Claude Lerude et de Jean Joudiou, si terriblement éprouvées, ses biens vives et respectueuses condoléances.

Voici maintenant la suite du récit de René Alexis, l’un de ses compagnons, qui poursuit  ainsi la relation de cette triste journée du 7 juin 1945 :

« Enfin, une dernière réunion dans la chambre de Claude groupe, outre le père Lenoir notre aumônier, la plupart des anciens de la Seconde. Madame Lerude qui veut conserver la tradition offre, come aux jours heureux, les gâteaux et la boisson. Nous commençons cette veillée par un poème de Louis Aragon, récité par Guy, tiré de « La Diane française », livre tout récemment édité. Ce long poème «Ballade de celui qui chanta dans les supplices » est religieusement écouté tant il reflète nos propres pensées. Nous évoquons des souvenirs, chacun à tour de rôle dit quelques mots sur le Claude qu’il a particulièrement connu. Nous mesurons alors le vide que laisse son absence, et que plus rien désormais ne sera comme avant.

Madame Lerude désirant entrer au Carmel, distribue livres, jouets, souvenirs scouts, photos, etc. aux cousins et aux nombreux amis de Claude. »

Ainsi s’achève le long récit du « Chemin de Croix » de Claude Lerude.

 

Mis en forme par Michel Lerude et T.S. en mai 2020.